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Le conflit au Yémen et le taux élevé de la criminalité infantile

Yasmin Abdulhafeez – Sawt Al-Amal (la Voix de l’Espoir) 

Dix années de conflit au Yémen, et dix années de souffrances indicibles pour les enfants qui en paient un lourd tribut en raison des retombées du conflit. Des chiffres choquants révèlent l’ampleur de la catastrophe humanitaire vécue par toute une génération. En effet, des millions d’enfants risquent de se retrouver sans abri en raison des déplacements, de la faim, des maladies, de la privation d’éducation, du recrutement forcé et du mariage précoce, ainsi que du travail des enfants.

Dans un rapport choquant publié par l’UNICEF, intitulé « UNICEF : un million d’enfants d’âge scolaire sont hors des écoles au Yémen », il a été révélé une grave crise éducative sévissant au Yémen. En effet, plus d’un million d’enfants yéménites ont été privés de leur droit à l’éducation en raison du conflit en cours, une crise qui s’est considérablement aggravée depuis 2015, menaçant l’avenir de toute une génération et aggravant leur souffrance humanitaire.

Le rapport, publié en juillet 2021, a indiqué que le nombre d’enfants qui n’ont pas pu entrer dans les salles de classe en 2015 dépassait les 890 000 enfants. Le rapport a également souligné la nécessité d’intervenir et de soutenir le retour des enfants yéménites au processus éducatif et de leur fournir le soutien nécessaire.

Le rapport a également mentionné que les enfants déplacés au Yémen sont les plus touchés par le manque d’accès à l’éducation, et qu’environ 523 000 enfants n’ont pas trouvé de places dans les écoles en raison de la surpopulation scolaire et du manque de salles de classe suffisantes dans les zones du déplacement.

Un autre rapport de l’UNICEF intitulé « Neuf années de conflit au Yémen ont laissé derrière elles des millions d’enfants souffrant de malnutrition et de retard de croissance », 2024, indique que le nombre d’enfants yéménites souffrant de malnutrition s’élève à deux millions.

Le rapport a également indiqué que près de 3 900 enfants ont été tués et 7 600 autres blessés depuis le déclenchement des affrontements armés dans le pays. Le même rapport a indiqué que plus de 10 millions d’enfants dans l’ensemble du pays ont besoin d’une aide humanitaire urgente et essentielle.

Ainsi, la plupart des enfants yéménites ont été privés de vivre dans un environnement paisible qui donnerait à leur enfance tous ses droits, loin de la peur, des maladies, de la privation, de la faim, de l’ignorance, de l’injustice, du déplacement et de la déperdition. Cela les a conduits à vivre dans un climat instable et tendu, poussant de nombreux d’entre eux à s’engager dans des activités illégales menaçant leur avenir, comme le vol, la mendicité et la commission de délits contraires à l’éthique et à la loi.

Économiquement

La situation de vie difficile vécue par la famille de l’enfant Ali Mahyoub (pseudonyme) l’a amené à réfléchir à tous les moyens de subvenir aux besoins de ses cinq frères et sœurs, de sa mère et de son père malade, même si c’était illégal.

L’enfant Mahyoub vit dans un village rural à Taïz, dans une famille extrêmement pauvre. Il a dû abandonner ses études pour chercher un travail, et lorsqu’il en trouve un, il est rapidement renvoyé après qu’on découvre qu’il vole les personnes avec lesquelles il travaille.

Un vendeur de légumes – qui a demandé à garder l’anonymat – avec qui l’enfant Mahyoub a travaillé, dit : « Il est venu me voir et m’a demandé de travailler sur mon Basta (petit commerce) de légumes. Comme sa famille a besoin d’argent, j’ai essayé de ne pas refuser sa demande. Il a effectivement commencé à travailler, et je veillais à lui donner un montant respectable en plus de quelques légumes que je lui donnais quotidiennement pour aider sa famille. Mais, au bout de quelques jours, j’ai remarqué qu’il cachait une partie de l’argent qu’il recevait des clients. J’ai fermé les yeux, mais après m’en être assuré, j’ai constaté qu’il volait réellement ».

Il poursuit : « Il était difficile de le renvoyer, j’ai donc commencé à le sensibiliser aux risques de voler quelqu’un avec qui il travaille, et je l’ai beaucoup conseillé en lui disant qu’il était comme mon fils. J’ai même augmenté son salaire, espérant qu’il changerait. Mais il a continué à prendre et à revendre certains légumes ailleurs. J’ai finalement décidé de le laisser chercher un autre travail ».

Selon les témoignages de ses proches, cet homme n’était pas le seul avec qui Ali a travaillé et qu’il a volé. Beaucoup ont sympathisé avec la situation de sa famille et lui ont ouvert la porte de travailler, avant de découvrir qu’il s’agissait d’un enfant habitué au vol.

Les conditions financières difficiles ont contraint les enfants à voler, soit pour subvenir à leurs propres besoins lorsque leurs familles ne pouvaient pas le faire, soit pour apporter un peu de subsistance à leurs familles, surtout avec la suspension des salaires des employés et le licenciement de nombreux travailleurs à la suite de la destruction de nombreuses installations et bâtiments de service. Pendant ce temps, le pays connaît une vague sans précédent de hausse des prix des denrées alimentaires, des biens et des services, avec des répercussions négatives sur la vie de nombreuses familles, en particulier les enfants qui se sont impliqués dans divers délits, comme le vol et les réseaux de mendicité.

Selon Nabil Al-Sharabi, chercheur et journaliste économique, les effets d’un conflit dans un pays se répercutent de manière désastreuse sur tous les segments de la société, mais elles sont particulièrement dures pour les enfants, qui sont le groupe le plus faible de la société. De plus, l’impact s’étend à l’avenir et sur une plus longue durée, étant donné que les enfants sont au début de leur vie et ont des décennies à vivre en payant le prix des effets du conflit sur leur enfance.

Il a ajouté : « Les effets du conflit ne se limitent pas seulement à l’ampleur des dommages de nature économique, mais ils interfèrent avec tous les domaines de la vie, comme l’incapacité de la famille à dépenser pour la santé, l’éducation, un logement convenable, une alimentation suffisante, de l’eau potable, des vêtements appropriés et des loisirs, entre autres facteurs nécessaires à une éducation exempte de troubles ».

Il continue : « L’absence de ces éléments fondamentaux entraîne une diminution ou une absence de cadres de protection adéquats pour l’enfant, le laissant vulnérable à la violence résultant de l’abandon de l’école et du foyer familial protecteur, avec son encadrement, son éducation et son orientation appropriés, le projetant dans un espace ouvert où la lutte et la survie sont impératives, sans règles ni protection ».

M. Al-Sharabi voit que cette transformation équivaut à la coupure de « perle familial » qui garantit une vie sûre et saine pour l’enfant. C’est alors que l’enfant devient la proie d’une exploitation odieuse et d’un trafic criminel en échange de moyens de subsistance. Il peut être exploité soit pour faire la promotion de la drogue et des substances illégales, soit être entraîné dans les coulisses du crime en l’utilisant pour le meurtre ou les vols, ou encore faciliter l’exécution d’activités criminelles en le chargeant de suivre et d’espionner une famille, une personne, un commerce, un moyen de transport ou une maison, et de transmettre les informations à celui qui lui a confié cette mission, sans que personne ne se doute de lui en tant qu’enfant. Cependant, il est alors sans conscience ou sous pression, et devient le principal responsable de la survenance du crime, tout en étant le premier à en payer le prix lorsque l’affaire est découverte.

Il mentionne : « Au début de ma carrière professionnelle, il y a environ deux décennies, on m’a demandé de réaliser un reportage journalistique sur les établissements pénitentiaires pour mineurs. Lors de ma visite dans l’une de ces établissements, j’ai ressenti une véritable tragédie en menant de simples entretiens autorisés avec des enfants détenus. Par exemple, l’un d’eux m’a confié qu’un gang l’avait utilisé pour attirer d’autres enfants, allant jusqu’à les kidnapper et les trafiquer d’organes, et qu’il se trouvait avec eux lorsque la police a fait une descente ».

Il continue : « Un autre enfant mineur m’a dit qu’on l’avait chargé de surveiller des maisons familiales pour connaître leurs heures d’entrée et de sortie, sans savoir quel était l’objectif de ces informations. Lorsque ces maisons ont été cambriolées, sans que l’on ne trouve de traces des voleurs, cet enfant était à la fois le témoin et la victime ; il a été arrêté car il prétendait entrer dans ces maisons pour demander de l’aide. En raison de son jeune âge, les familles l’ont pris en pitié et l’ont considéré comme l’un des leurs. Il circulait ainsi d’une maison à l’autre, transmettant tout ce qui s’y passait ».

M. Al-Sharabi ajoute : Un autre mineur délinquant m’a raconté qu’il avait été en contact avec des individus qui l’ont agressé sexuellement, et que sous la menace d’être dévoilé, il transportait des objets interdits pour d’autres personnes, jusqu’à ce qu’il soit arrêté par la police. De nombreux autres cas ont conduit à la commission de crimes. La pauvreté était la principale raison pour laquelle tous ces enfants avaient quitté leur famille, les contraignant à se retrouver dans la rue ou à partir des zones rurales vers les villes, devenant ainsi les victimes de criminels qui les ont utilisés comme instruments pour commettre leurs forfaits ».

Socialement

Abdelwase Al-Fatki, journaliste et analyste politique, déclare : « Le conflit au Yémen a eu des répercussions sur les couches vulnérables de la société ; les enfants étant particulièrement affectés, car ils constituent la tranche la plus faible de la société. Ce groupe a subi de graves traumatismes psychologiques et sociaux, ainsi que l’exposition à des scènes de violence, perdant ainsi leur sécurité psychologique et sociale ».

Il ajoute : « Les enfants n’ont pas vécu leur enfance comme ils le devraient. Les enfants yéménites ont souffert des déplacements forcés avec leurs familles, et certains ont été témoins directs de la mort de leur père, frère ou mère. Cela a créé en eux un désir de vengeance, les poussant parfois à commettre des meurtres de sang-froid, en raison de l’injustice qu’ils ressentent. Ce qui leur a enraciné à se tourner vers les armes et à rejoindre des groupes armés ou des gangs ».

Il a souligné que les rapports des organisations de défense de l’enfance mettent en garde contre le recrutement de milliers d’enfants yéménites et l’impact de cette situation sur leur avenir et sur la société yéménite dans son ensemble, ce qui fait que la violence parmi les enfants ou commise par eux envers les autres est devenue une chose habituelle. Des crimes graves ont été enregistrés à l’encontre de jeunes enfants revenus des fronts de combat ou des camps d’entraînement ; ces jeunes combattants pensent être devenus des hommes et avoir un rôle à jouer dans la société, une croyance renforcée par les parties qui recrutent les enfants pour le combat, car il est plus facile de les mobiliser et de les jeter dans les batailles. Ils coûtent également moins cher en termes de ravitaillement et d’entretien par rapport à leurs aînés.

Psychologiquement

À cet égard, Ramzi Zaher Omar, psychologue, dit : « Le conflit a un impact négatif sur l’adulte, car il entraîne de nombreuses maladies psychologiques, physiques, mentales et nerveuses chez la personne. Mais qu’en est-il de l’enfant, pour qui l’impact est encore plus grand ? Son sentiment de sécurité est ébranlé par la perte de stabilité, surtout s’il a été témoin de meurtres et de violences ».

Il ajoute : « En ce qui concerne l’augmentation du taux de criminalité chez eux, il y a ce qu’on appelle l’apprentissage par observation. Les enfants qui sont témoins de crimes ou de violence en sont psychologiquement affectés ; ils ressentent de l’anxiété, de la peur et un trouble de stress post-traumatique ou un choc psychologique. Il arrive aussi que les enfants soient influencés par le comportement agressif et le reproduisent involontairement ».

Il continue : « Beaucoup d’enfants au Yémen ont comme jouets des armes, des bombes et des artifices. Ils apprennent ce comportement par observation des adultes et exercent la violence sur les enfants plus jeunes ou de leur âge, sans en avoir conscience, car cela leur semble un comportement normal ».

Le conflit et son impact sur la propagation de la violence parmi les enfants

De nombreux rapports de presse et de droits de l’homme indiquent que le conflit a eu un impact profond sur la vie de beaucoup d’enfants au Yémen, les forçant à grandir avant l’heure. Pour bon nombre d’entre eux, leurs rêves ne sont plus d’acheter des jouets et d’aller dans les jardins et les parcs, mais d’avoir un fusil et d’aller sur le front de guerre.

C’est le cas du jeune Ayham Hamoud, âgé de six ans, dont la mère dit qu’il ne cesse de vouloir des jouets tels que des fusils, des mitrailleuses, des voitures de police et des chars. Il est également attiré par les uniformes militaires et leur équipement.

La mère d’Ayham dit : « Il s’asseyait à côté de son père et suivait les informations, écoutant les discussions des adultes sur le conflit et son évolution. De plus, il voyait des groupes d’hommes armés traverser le quartier où nous vivions. C’est pourquoi il imitait leurs gestes et nous disait qu’il voudrait leur ressembler quand il serait grand ».

Elle ajoute : « Plusieurs fois, j’ai remarqué qu’il penchait vers la lutte et la violence. J’en ai parlé à son père, surtout quand nous le voyions poser un morceau de bois sur les corps de ses frères, se faisant passer pour un soldat et voulant les tuer. C’est ce qui a poussé son père à s’éloigner des informations et à l’occuper en l’emmenant dans d’autres villes où vivent des membres de la famille ».

Tandis que les enfants du monde entier cherchent à avoir des connaissances et à développer leurs compétences, les enfants yéménites souffrent de la privation de leurs droits les plus élémentaires, à savoir l’éducation et le sentiment de sécurité. Après des années de conflit, plus d’un million d’enfants yéménites sont toujours en dehors des murs des écoles, ce qui représente une menace grave pour l’avenir du Yémen. C’est le plus grand danger auquel font face les enfants en raison des impacts du conflit armé.

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