Entre conflit et pauvreté : Plusieurs facteurs poussent les enfants yéménites vers la criminalité
Yasmine Abdulhafeez – Sawt Al-Amal (La Voix de l’Espoir)
Dans un quartier populaire du gouvernorat d’Al-Hodeïda, il y a un enfant de quinze ans qui est victime de la rue et de la désintégration familiale. Le voilà aujourd’hui confronté à la justice, accusé de vol. C’est l’histoire de Mohammed Ahmed (pseudonyme) qui révèle le drame des enfants des rues dans la ville et comment les conditions de vie difficiles les poussent à commettre des crimes.
Après le divorce de ses parents il y a plus de sept ans, Mohammed a emménagé avec sa mère au milieu de 2023 dans un quartier populaire d’Al-Hodeïda, mais il a rapidement quitté son domicile pour s’installer chez un de ses proches. C’est là qu’il a rencontré un groupe d’enfants avec lesquels il s’est intégré.
Dans une nuit, une mère a été surprise par un enfant qui s’infiltrait dans sa chambre, essayant de voler la télévision et le téléphone portable. Quand elle a crié, elle a réussi à l’attraper dans le salon de la maison. L’un de ses fils a tenté de l’interroger pour savoir comment il était entré et qui l’avait aidé, mais l’enfant semblait perturbé et effrayé, incapable de donner des informations utiles, se contentant de désigner l’une des fenêtres et de répéter des phrases énigmatiques sur des personnes qui l’avaient aidé. Il a commencé à trembler et à pleurer tellement fort qu’il n’a pas pu donner de détails pour aider à arrêter ses complices. La famille n’a donc pas eu d’autre choix que de remettre l’enfant au poste de police le plus proche pour qu’il fasse son devoir.
Selon ses proches, l’enfant a vécu une vie perturbée depuis son enfance ; il a été témoin de disputes continues entre ses parents qui ont finalement conduit à leur séparation. Après cela, il s’est retrouvé à errer entre les maisons de ses proches, loin des soins parentaux, ce qui l’a poussé à s’engager dans des comportements indésirables comme le vol.
L’un de ses proches a également confirmé que l’enfant avait un long passé de vol, que son comportement espiègle remontait à son plus jeune âge. Les parents s’accusaient mutuellement d’être responsables de ce qu’il devenait.
Les conditions difficiles vécues par de nombreux enfants au Yémen ; comme la pauvreté, la maladie et des conflits permanents, les ont poussés à commettre des crimes disproportionnés à leur âge. Les conflits armés leur ont volé leur enfance, transformant leur vie en un cauchemar continu de peur et de privation. Au lieu de jouer et d’apprendre, ils se sont retrouvés confrontés à de grands défis qui dépassaient leurs capacités, les conduisant ainsi à des comportements criminaux.
Le phénomène de la criminalité chez les enfants au Yémen est l’un des problèmes les plus graves dans la société yéménite. De nombreux facteurs interconnectés contribuent à l’aggravation de ce phénomène, dont : Les conflits armés qui amènent les enfants à se familiariser avec la violence comme moyen de résolution des problèmes, les rendant ainsi plus susceptibles de s’engager dans des activités criminelles, l’augmentation de pauvreté, poussant les enfants à chercher des sources de revenus illégitimes, le déplacement et le vagabondage, l’absence d’emploi, l’effondrement social, avec l’affaiblissement des institutions de l’État, et l’éclatement de la famille. De plus, le manque d’éducation, la propagation des drogues, l’absence de sensibilisation à la loi, et la détérioration des conditions de vie.
La pauvreté et son impact sur les enfants
La pauvreté est l’un des plus grands problèmes qui préoccupent la société yéménite depuis longtemps, et le conflit en cours dans le pays n’a fait qu’exacerber cette situation. C’est ce qui a poussé de nombreux partenaires de l’action humanitaire au Yémen à apporter leur soutien et leur assistance à de nombreux Yéménites qui se trouvent au bord de la famine.
Un rapport du Programme des NU pour le développement au Yémen, publié sous le titre « Un plan pour la reprise : S’attaquer à la pauvreté dans le contexte du conflit continu au Yémen », 2024, a montré que la plupart des Yéménites souffrent de pauvreté. En effet, le taux de pauvreté a dépassé 82% des Yéménites en 2021, avec 46% vivant dans une extrême pauvreté, et environ 70% des Yéménites souffrant de privations. Le rapport a également indiqué que le Yémen occupe la 138e place dans l’indice mondial de l’extrême pauvreté.
La pauvreté et la grande privation au Yémen ont poussé de nombreux enfants yéménites à commettre divers actes et crimes menaçant leur avenir et celui de leur pays. Ils sont en effet le groupe le plus touché par la dure réalité que traverse le pays, surtout ces dernières années marquées par des conflits incessants.
À cet égard, Khaled Omar, professeur des médias et des sciences sociales à l’Université de Sana’a, déclare que la pauvreté est un grand problème entraînant de nombreux problèmes sociaux et économiques, surtout en l’absence de protection morale et éducative.
Disant dans une interview au journal (Sawt Al-Amal) : « La pauvreté en soi n’est pas un défaut, mais c’est un problème si elle est liée à des personnalités faibles en termes d’éducation et de valeurs, ce qui pousse les pauvres à adopter d’abord des comportements parasitaires, tels que la mendicité et des activités marginales équivalentes ou proches de la mendicité ».
Il continue : « Il est vrai que la pauvreté est un facteur important qui contribue à augmenter la probabilité de commettre des crimes, mais ce n’est pas le seul facteur. Les facteurs sociaux, psychologiques et économiques jouent un rôle crucial dans la formation du comportement des individus. Tandis que certains pauvres peuvent se tourner vers la criminalité à cause du désespoir et de la privation, d’autres réussissent à surmonter ces conditions difficiles grâce à une forte volonté et à un soutien social ».
Il ajoute : « La personne s’engage progressivement dans des activités illégales pour subvenir à ses besoins et gagner de l’argent, pouvant aller jusqu’au vol, à la fraude et à des actes immoraux, chez les hommes comme chez les femmes, en raison de la faiblesse du facteur religieux et moral chez certains, ce qui les rend plus enclins à commettre des actes illégaux ou immoraux ».
L’absence de loi
Concernant le rôle de la loi sur le travail des enfants, Souad Al-Arhabi, experte sociale, dit : « L’absence de l’État de loi pousse de nombreuses personnes, surtout les enfants, à perdre confiance dans la justice. En l’absence d’une justice équitable, les individus se tournent vers l’auto-justice, ce qui conduit à la propagation de la violence et de la vengeance. Les enfants sont témoins de ces pratiques et apprennent que la violence est la meilleure solution aux problèmes, ce qui les met en danger et a un impact négatif sur leur développement psychologique et social ».
Elle a souligné qu’il y a de nombreux autres facteurs – psychologiques ou sociaux – ayant amené les enfants au Yémen à pratiquer la criminalité, ce qui est devenu un phénomène troublant la tranquillité de la société.
Dans sa parole sur les facteurs poussant les enfants au Yémen à commettre des crimes, elle dit : « Le manque d’application du contrôle sur le contenu proposé par de nombreux médias, ce qui influence la pensée et les orientations des enfants, comme l’existence d’émissions de dessins animés transmettant aux enfants des idées négatives et hostiles qui renforcent l’idée de commettre des crimes ».
Elle insiste sur le fait que la famille, les États et les communautés autour de l’enfant doivent mettre en œuvre les lois qui protègent les enfants contre la commission de crimes, ainsi qu’intensifier la sensibilisation à la protection des enfants contre le suivi des programmes et des jeux ayant un impact négatif sur leur pensée et leur comportement.
La violence et l’abus
Ruqaya Hamoud Al-Dhabhani, spécialiste des affaires sociales et employée dans le domaine de la santé mentale, estime que la violence familiale est l’un des principaux facteurs qui poussent l’enfant à commettre des crimes. Cela se reflète sur l’enfant pour en faire une personne maltraitée, et la séparation familiale peut contribuer de manière significative à ce que ce soit une motivation pour que l’enfant entre dans le monde de la criminalité.
Elle souligne que la négligence familiale, les mauvais compagnons et la mauvaise socialisation en général sont autant de facteurs qui contribuent à ce que les enfants commettent de nombreux crimes.
Elle ajoute : « Le tuteur légal peut être naturellement une personne maltraitante ; ce qui se répercute négativement sur ses enfants, en plus de l’apparition de maladies mentales comme la (psychopathie), une maladie de la personnalité dont le porteur est manipulateur, maltraitant et dépourvu de sentiment de culpabilité. Alors, si une partie s’oppose à la société et essaie de contester les coutumes et des lois de la société, il peut s’y engager et en être un complice dans l’abus ».
Majid Sultan Saeed, chercheur en sociologie des médias à la faculté des médias de l’Université d’Aden, dit dans son interview au journal (Sawt Al-Amal) : « Le conflit permanent a conduit à la destruction des infrastructures et à l’aggravation du taux de pauvreté au sein de la société, rendant les enfants vulnérables au recrutement et à l’exploitation par les groupes armés ».
Il estime que les difficultés économiques ont forcé les familles à se concentrer sur la subsistance, les laissant ainsi exposés à la déviance, ou les ont poussés à envoyer leurs enfants s’engager dans des activités inappropriées à leur âge et à leur état physique et mental, afin de leur assurer une bonne vie.
M. Saeed souligne également que la désintégration familiale est l’un des facteurs qui poussent les enfants à commettre des crimes ; il a expliqué que les conflits et les déplacements forcés ont conduit à la désintégration de nombreuses familles, laissant les enfants sans soins ou orientation appropriés, et que la destruction des écoles et le manque d’accès à l’éducation augmentent la probabilité que les enfants s’engagent dans la criminalité.
Il ajoute : « Les pressions psychologiques et sociales conduisent également les enfants à entrer dans la criminalité, surtout ceux qui vivent dans des environnements remplis de violence et de conflits ; ils subissent un stress psychologique important, ce qui peut les pousser à adopter des comportements agressifs ».
Il considère que l’exploitation et les abus envers les enfants sont également des facteurs qui poussent de nombreux enfants à commettre des crimes, l’impact des différents types de violence subis par les enfants les amenant à se venger de la société par d’autres crimes tels que les vols, les meurtres et les viols, en plus de la prolifération des armes et de leur accessibilité.
Des avis d’experts et de spécialistes
Salwa Brick, conseillère au ministère de la Justice pour les affaires de la femme et de l’enfant à Aden, déclare : « L’absence de la famille et son rôle négatif dans le suivi de leurs enfants et le manque de surveillance les ont poussés à errer dans les rues et à vivre dans un environnement différent du leur, où ils apprennent et adoptent des comportements malsains et inacceptables, ce qui peut effectivement les amener à commettre des crimes, comme la consommation, la vente et le trafic de drogue, ainsi que le travail avec des réseaux de prostitution et d’autres crimes immoraux ».
Elle souligne que l’absence du rôle de la mère et du père a largement contribué à faire de leurs enfants des criminels, voire des outils pour commettre des crimes. Donc, la surveillance des enfants et le suivi par la famille, en sachant avec qui ils traînent et où ils vont, en connaissant leur localisation s’ils s’absentent pendant de longues heures, et en sachant d’où proviennent les cadeaux et l’argent s’ils reviennent à la maison avec, est une nécessité indispensable.
M. Brick ajoute dans son entretien avec (Sawt Al Amal) qu’il est nécessaire d’intensifier la sensibilisation médiatique de la société sur l’importance de préserver une éducation saine de leurs enfants, et de les mettre en garde contre le risque de tomber dans ce genre de crimes, car si l’enfant perd les soins, l’attention et l’orientation, il devient une victime et une proie à l’exploitation par les autres.
Elle continue : « La sensibilisation communautaire dans les forums culturels et les mosquées sur la manière de protéger les enfants contre la criminalité est extrêmement importante pour éviter que les enfants ne tombent dans des comportements et des actes dangereux ».
Elle estime qu’il est nécessaire d’avoir des programmes de sensibilisation dans les écoles et de distribuer des brochures, des affiches et des films éducatifs sur les dangers auxquels les enfants font face dans les rues, ainsi que de les sensibiliser à ne pas répondre à quiconque dans la rue et à signaler toute crainte qu’ils pourraient avoir, et de mettre en place des programmes de réhabilitation pour les enfants qui ont commis des crimes afin de les aider à s’intégrer dans la société.
61,9% des participants au sondage ont déclaré que les lois actuelles sont insuffisantes pour traiter les problèmes des mineurs délinquants au Yémen…
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