Les enfants, le groupe le plus vulnérable au Yémen, luttent économiquement pour la survie
Hanan Hussein – Sawt Al-Amal (la Voix de l’Espoir)
Le Yémen connaît depuis plusieurs années une crise économique étouffante due au conflit en cours, affectant particulièrement les groupes les plus fragiles, surtout les enfants. La dégradation économique a exacerbé les problèmes sociaux, avec une augmentation des taux de pauvreté et de chômage, poussant de nombreux enfants à s’engager dans des activités illégales et à s’écarter du droit chemin, constituant ainsi une menace pour leur avenir et la stabilité de la société.
Rapports et statistiques
Alors que le conflit au Yémen entre dans sa dixième année, de nombreux Yéménites font toujours face à la plus grande crise humanitaire au monde, selon le dernier rapport publié par l’UNICEF en 2024 ; près de 9,8 millions d’enfants ont besoin d’une forme ou d’une autre d’aide humanitaire. L’organisation a souligné que la baisse des violences actives a été observée depuis la mi-2022, entraînant une diminution du nombre de victimes civiles et des souffrances dans les communautés locales. Cependant, la situation reste fragile et nécessite urgemment une solution politique durable.
En outre, les crises économiques en cours, ayant créé des écarts importants entre les taux de change dans les différents gouvernorats, ont provoqué l’effondrement de la monnaie, emportant avec elle tous les aspects d’une bonne vie, faisant des enfants, en tant que groupe le plus faible de la société, les premières victimes de cette situation. Parallèlement à l’effondrement de la monnaie, une forte inflation a fait grimper les prix des denrées alimentaires et des biens de consommation, rendant de nombreuses familles incapables de subvenir à leurs besoins, ce qui a poussé de nombreux enfants à devoir se tourner vers la rue et chercher des moyens de subsistance par diverses manières.
L’UNICEF a indiqué dans son rapport que la crise humanitaire persistante a accru la vulnérabilité des enfants et des femmes, les exposant à l’exploitation, à la violence, aux mauvais traitements, au travail des enfants, aux meurtres et aux mutilations, au recrutement par les parties au conflit, à la violence, au mariage des enfants et à la détresse psychosociale.
Selon le rapport « Les points chauds de la faim » publié en 2022 par l’Organisation des NU pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) et le Programme Alimentaire Mondial, le Yémen reste l’un des pays les plus préoccupants. Il indique que la faim continue d’augmenter au Yémen en raison du mélange toxique de conflit et de déclin économique, entraînant la moitié des ménages yéménites à consommer une alimentation inférieure aux besoins nutritionnels essentiels.
Socialement
Ibrahim Qaid, expert social, déclare qu’il y a un grand impact de la situation économique sur les enfants, en disant : « La situation financière a un impact important sur la situation des familles au Yémen. Une famille capable de fournir les besoins de base à ses enfants en termes d’alimentation, de boissons, de vêtements et de soins de santé et d’éducation, aura une influence positive sur la personnalité future de l’enfant sous tous les aspects, et il sera moins susceptible de développer des problèmes de santé mentale. Contrairement à la famille qui ne peut pas répondre aux besoins des enfants, ce qui engendrera en eux un sentiment de privation, de rancune et d’envie, entraînant alors différentes maladies mentales ou types de violence ».
Avis économique
Nabil Al-Sharabi, chercheur en économie, dit : « Dans toute société, la stabilité de la société est mesurée, et le facteur économique est le principal déterminant d’une bonne vie et du respect des droits. La situation de stabilité économique ou son absence façonne les traits de la réalité de la société ; soit une société jouissant de tous ses droits économiques, sociaux et humains, ainsi que du droit de citoyenneté, soit une société dépossédée et privée d’une bonne vie dans tous ses domaines, de l’éducation, de la santé, du logement, d’un emploi décent et d’une alimentation saine ».
Sur les dommages causés à la situation économique générale par l’apparition des mineurs délinquants, M. Nabil dit : « Les changements négatifs entraînent des effets néfastes à plusieurs niveaux, y compris le niveau économique, obligeant les autorités à affecter des budgets pour faire face aux répercussions de ce phénomène et en traiter les dommages, au détriment du domaine du développement ».
Il poursuit : « L’impact peut s’étendre à la famille qui se trouve obligée de consacrer ce qu’elle possède, épargne ou obtient au suivi de son mineur délinquant et à sa récupération, au détriment de son gagne-pain ».
L’impact général
Concernant les principales répercussions que la situation peut avoir sur la société et se refléter sur les enfants, Abdo Al-Hudhaifi, président de l’ONG Mayyun pour les droits de l’homme, dit : « La situation économique dégradée a des impacts catastrophiques sur la société. Si l’on parle des enfants, ils sont la catégorie la plus touchée ; les étudiants abandonnent l’école et ceux qui ont atteint l’âge scolaire ne s’y inscrivent pas. De plus, les familles se voient obligées de pousser leurs enfants vers le marché du travail malgré les grands dangers auxquels ils sont exposés. Mais ce qui est encore plus dangereux, c’est le recrutement des enfants, que ce soit par désir d’obtenir une aide mensuelle, des rations alimentaires ou un morceau d’arme ».
De son côté, Mona Al-Ban, directrice de l’unité de lutte contre le travail des enfants au ministère des Affaires sociales et du Travail à Aden, dit : « Le Yémen est l’un des pays arabes pauvres qui ont été ravagés par les conflits pendant de nombreuses années, entraînant une augmentation du niveau de pauvreté et des taux de chômage dans la société. En ce qui concerne les enfants, ils sont les plus touchés par tout ce qui se passe. Selon une série de recherches menées par un groupe de recherche sur le développement, pour évaluer l’impact des crises économiques, ces enfants abandonnent souvent l’éducation ou n’ont pas accès aux soins de santé, ce qui les placera dans une situation très difficile, même longtemps après la fin du conflit ».
Elle poursuit : « Le travail des enfants et la délinquance de certains sont des suites de ces problèmes. Cela s’intensifie à mesure que les pressions économiques sur la société augmentent, notamment avec la décomposition des relations familiales et la faiblesse des ressources matérielles, ainsi que l’influence des mauvaises compagnies, le manque de contrôle et le chômage parmi les adultes ».
Iqbal Al-Syaghi, vice-directrice d’établissement pénitentiaire pour mineurs, estime qu’il y a un grand impact de la baisse du niveau économique. Cette détérioration pousse les enfants à s’engager dans des activités inappropriées pour leur âge, les amenant à sortir dans la rue à la recherche de moyens de gagner de l’argent dans des endroits inadaptés et par divers moyens, tels que la mendicité et le vol.
Mme. Iqbal précise qu’il existe d’autres facteurs qui poussent les enfants à s’engager dans des activités illégales, comme la vente et la mendicité, qui, parfois, ne suffisent pas pour certains enfants pour diverses raisons. Ils se tournent alors vers le vol et d’autres comportements pour gagner de l’argent, ce qui constitue un défi pour la société dans son ensemble.
La propagation de la criminalité chez les enfants
Dans le cadre de parler des niveaux de criminalité chez les enfants, M. Al-Hudhaifi déclare : « Il y a une relation proportionnelle entre la détérioration de la situation économique et sociale dans un pays et les problèmes liés à la catégorie des enfants, y compris les violations qui les concernent et l’aggravation des questions et des phénomènes les touchant. Nous observons ainsi la désintégration familiale et la violence domestique, ainsi que le fait que l’enfant se tourne vers la rue sans surveillance ni suivi, devenant une proie facile pour les criminels, avec une disposition psychologique à la violence en raison de ce qu’il endure à la maison, à l’école, et même influencé par les plateformes de communication et le discours médiatique déséquilibré ».
Dans le même contexte, Ibrahim Qaid, expert social, estime que la prolifération du travail des enfants et leur interaction avec des adultes a entraîné l’acquisition de mauvaises habitudes et de comportements inappropriés, surtout s’ils se trouvent en compagnie de personnes déviantes. Cela s’accompagne également de leur implication dans des groupes de mendicité et de vol, et de l’apparition du phénomène de décrochage scolaire.
Pour M. Al-Sharabi, la détérioration de la situation économique peut avoir des répercussions sur tout le monde, en particulier sur les enfants, compromettant ainsi leur protection, depuis la famille jusqu’à la communauté. Il ajoute : « Les enfants abandonnent l’école, sont privés de leurs droits à l’enfance et, sous la pression de la pauvreté, se retrouvent à vivre dans la rue, à effectuer des travaux dangereux et à être recrutés par des individus ou des groupes pratiquant des activités illégales, devenant alors de jeunes criminels à un âge où ils devraient être à l’école ou dans le foyer familial ».
Des défis généraux
M. Al-Sharabi explique que de nombreux mineurs délinquants se sont retrouvés impliqués dans des affaires et des crimes sous la menace, ou en raison d’agressions sexuelles ou de l’influence de la toxicomanie. Ce sont là les principaux défis de l’enfant, le poussant à adopter un comportement contraire à sa nature.
Mona Al-Ban souligne que l’augmentation du travail des enfants contribue à accroître le taux de chômage parmi les adultes, ce qui représente un grand défi pour la société. Elle ajoute : « Il est évident que les enfants engagés sur le marché du travail ne travaillent que dans le secteur informel, ce qui signifie qu’ils n’ont aucune garantie, pas de moyens de sécurité, ni un salaire équivalent à celui des adultes, et qu’ils sont soumis à de longues heures de travail. Tout cela les épuise dans leur emploi, motivés uniquement par le désir de gagner un montant d’argent pour garantir sa subsistance et celle de sa famille ».
Elle poursuit : « Nous constatons que l’enfant fait face à de grands défis, se trouvant ainsi sous la responsabilité légale, en raison de son ignorance des lois et des conventions sur les droits de l’enfant qui affirment leur droit à une vie décente à toutes les étapes de leur existence, ainsi que leur droit à une vie qui leur garantit un bon avenir, sans oublier les conventions internationales du travail n° (182) concernant l’interdiction des pires formes de travail et la convention n° (138) sur l’âge minimum d’admission à l’emploi ».
Les causes de la délinquance juvénile
« La délinquance juvénile représente un danger pour la société et menace gravement l’ordre public de l’État en raison de ce phénomène sur divers aspects. Les principales causes qui mènent à la délinquance sont l’absence de surveillance des parents sur leurs enfants et leur incapacité à leur fournir le soutien parental nécessaire. L’absence d’une autorité influente sur les enfants entraîne leur rébellion », selon Dre. Radhya Yaslam Saleh Basamad, spécialiste en sociologie à Aden.
Mme. Al-Ban partage cet avis et explique que la principale raison de la délinquance et des problèmes des jeunes est l’absence de surveillance des parents sur leurs enfants, ou leur incapacité à leur fournir le soutien parental nécessaire. Les enfants se tournent souvent vers la rue, se mêlent à de mauvaises compagnies, consomment des drogues et forment des gangs, ce qui contribue à la propagation de la criminalité.
M. Al-Hudhaifi pense que la pauvreté, le besoin d’argent et l’occupation du chef de famille, pendant la plupart des heures de la journée, conduisent les enfants à s’échapper dans les rues. De plus, ils ne se sentent pas en sécurité dans leur domicile, par exemple en étant exposés à la violence psychologique ou physique, et en vivant dans une atmosphère chargée de disputes et de violences entre les parents ; les enfants se voient donc contraints de sortir dans la rue, pensant y trouver un sentiment de sécurité.
Des traitements
M. Al-Hudhaifi estime que, lorsque la paix sociale sera rétablie et que la sécurité et la stabilité régneront dans le pays, la situation économique s’améliorera, ce qui aura des répercussions positives sur la société et sa principale base, la famille, y compris les enfants. Toutefois, il n’est pas possible d’attendre sans actions concrètes pour que cela se réalise ; les enfants ont aujourd’hui besoin de retourner à l’école, de sécurité, et de ne pas être ciblés par les parties en conflit pour être recrutés ou exposés à des violations. Avant tout, il est crucial d’évaluer le processus de distribution de l’aide humanitaire pour éviter qu’il ne devienne un outil de chantage utilisé par les forces armées pour recruter des enfants.
M. Al-Sharabi estime que si la pauvreté est traitée et éliminée, les lois, les réglementations et les droits seront rétablis, et tout le monde sera tenu responsable de leur violation, sinon il n’y aura pas de solutions, même si des efforts sont faits pour en promouvoir.
Dre. Basamad insiste sur l’importance de la coopération entre les institutions sociales et éducatives de l’État (famille, école, mosquée) pour éloigner les enfants des manifestations de violence, de peur, d’anxiété et de stress, et pour travailler à la construction d’une personnalité équilibrée chez l’enfant, afin de le protéger de la déviance et de renforcer les lois, les réglementations et les programmes de protection sociale pour la famille et l’enfant.
Pour garantir un avenir meilleur aux enfants, M. Al-Ban dit : « Il est nécessaire de mettre en place des interventions solides pour débloquer les salaires non perçus des familles des enfants, ainsi que d’appliquer les dispositions des conventions internationales et des lois nationales sur la protection des enfants. Ces traitements et solutions peuvent être organisés à trois niveaux. Au niveau premier (rapide), il est essentiel de renforcer les programmes de sensibilisation sur les dangers du travail précoce, du décrochage scolaire et des problèmes familiaux. Le niveau deuxième (intermédiaire) implique d’améliorer le processus éducatif et de rendre l’environnement scolaire attrayant pour eux. Quant au niveau troisième (à long terme), il faut résoudre les problèmes de pauvreté par la réaffectation des emplois dans les organisations qui emploient des étrangers dans des postes que les jeunes locaux peuvent occuper, activer le système de retraite, et transférer ceux qui ont atteint l’âge de départ à la retraite tout en restant dans les emplois gouvernementaux. Cela afin d’offrir des opportunités aux chercheurs d’emploi, y compris les diplômés, ainsi que d’intégrer les familles pauvres dans un système de réseaux de sécurité sociale et d’envois monétaires, tout en mettant à jour la base de données ».
Sur ce sujet, M. Qaid aborde ses propositions pour limiter la délinquance des enfants en disant : « Il est nécessaire de s’intéresser à diverses activités, comme le sport – surtout pour les jeunes – pour développer leurs compétences personnelles et positives et les éloigner de la voie criminelle. Il est également important d’élever la conscience des familles sur l’importance d’inculquer de bonnes valeurs aux enfants pour les éviter de tomber dans des comportements inappropriés. Enfin, souligner l’importance d’une éducation familiale appropriée par les parents pour les enfants ».
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