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Le rôle des organisations locales et internationales à soutenir l’aspect mental au Yémen

Yasmine Abdulhafeez – Sawt Al-Amal (La Voix de l’Espoir)

Mona Ahmed (pseudonyme), une trentenaire du gouvernorat d’Al-Hodaidah, raconte son récit sur sa participation à un programme de soutien mental mis en place par une organisation locale avec le soutien d’organisations internationales, pendant un mois. Elle explique comment ce programme l’a aidée à faire face aux défis mentaux rencontrés en raison des difficiles conditions de vie de sa famille, causées par le conflit dans le pays.

M. Mona raconte à (Sawt Al-Amal) : « Les revenus de mon père et de mes frères ont diminué après les destructions ayant touché de nombreuses régions du pays, y compris Al-Hodaidah où ils travaillaient. Notre situation de vie s’est fortement dégradée, ce qui s’est répercuté négativement sur le moral de nombreux membres de la famille et de moi. J’ai commencé à ressentir de la frustration et du désespoir. J’aimais rester seule la plupart du temps, avec l’envie de pleurer, surtout quand j’ai remarqué la dégradation de la santé de mon père ».

Elle ajoute : « L’une de mes collègues m’a indiqué le lien pour postuler à ce programme, ce qui m’a beaucoup enthousiasmée. J’avais en effet besoin de sortir de cette atmosphère morose dans laquelle je vivais, et d’avoir la possibilité de consulter un médecin ou un spécialiste en santé mentale, surtout que je n’étais pas en mesure de supporter les frais d’une visite dans un centre spécialisé pour le traitement des troubles mentales. J’ai donc été ravie de cette opportunité, j’ai pu m’inscrire et participer à toutes les séances à distance, à des intervalles espacés ».

Mme. Mona poursuit : « La spécialiste en santé mentale qui a mené les entretiens avec moi a été extrêmement bienveillante. Elle a réussi à apporter un changement positif à mon état d’esprit et m’a aidée à surmonter de nombreux problèmes rencontrés. Elle a également allégé les pressions mentales dont je souffrais ».

L’expérience de Mona Ahmed peut être considérée comme un exemple représentatif des effets mentaux dévastateurs que le conflit a laissés sur la vie des gens au Yémen.

Les organisations locales ayant travaillé sur la santé mentale

En mai 2024, la Fondation de soins mentaux a annoncé avoir aidé plus de 10 187 bénéficiaires, femmes et filles au Yémen, en seulement quatre mois, dans le cadre du projet « Fournir des services de santé mentale et un soutien psychosocial aux femmes et aux filles », avec le soutien du Fonds des NU pour la population.

Outre la Fondation de soins mentaux, de nombreuses organisations locales et internationales, ainsi que des centres et des institutions au Yémen, mettent en œuvre divers programmes de soutien mental, notamment des séances de soutien mental, des consultations gratuites. Parmi ces programmes, on peut citer celui du Centre d’études et de médias économiques, qui a ciblé les journalistes au Yémen et leur a fourni un soutien mental à travers des séances en direct et des applications de communication.

Le Centre d’études et de médias économiques, via l’Observatoire des libertés médiatiques, a organisé un atelier de formation pour les spécialistes du soutien mental à Taïz. L’objectif était de renforcer leurs compétences pour apporter un soutien aux journalistes, hommes et femmes, travaillant dans des conditions difficiles, et de les aider à faire face aux traumatismes mentaux, aux pressions professionnelles et aux risques des journalistes.

D’après les propos de Haifa Al-Odainy, responsable de la clinique de soutien mental du Centre, rapportés dans le journal « Sawt Al-Amal », cet atelier s’inscrit dans le cadre du programme de soutien psychologique lancé par le Centre à la mi-octobre 2022. Ce programme a connu un grand engouement de la part des journalistes, hommes et femmes, qui ont été répartis en groupes dans la première phase, avec la participation de 5 femmes psychologues.

Selon Mme Al-Odainy, le Centre a organisé plus de 192 séances de soutien mental, dont des séances en face-à-face pour les journalistes résidant à Taïz et des séances en ligne via la plateforme Zoom pour ceux vivant en dehors de la ville. Ces sessions ont donné des résultats positifs et ont aidé de nombreux journalistes, hommes et femmes, à surmonter les difficultés et à reprendre leur travail normalement.

Elle décrit le mode de fonctionnement lors de la fourniture du soutien psychologique aux bénéficiaires des séances organisées par le Centre. Elle dit : « Un formulaire électronique est rempli pour décrire la situation du bénéficiaire de manière générale, sans entrer dans les détails, et ce dans un souci de confidentialité entre conseiller/conseillère et bénéficiaire. Des codes spéciaux sont attribués à chaque cas, sans faire mention des noms des personnes qui consultent la clinique ».

Le rôle des organisations internationales

De nombreuses organisations internationales œuvrant dans le domaine humanitaire au Yémen depuis de nombreuses années offrent une multitude de services dans le cadre de leurs activités et programmes, y compris un soutien mental, notamment dans les régions les plus touchées par le conflit. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) poursuit ainsi ses efforts pour apporter un soutien mental aux personnes déplacées et aux migrants au Yémen, dans le but d’alléger leurs souffrances et de les aider à surmonter les suites mentales du conflit en cours dans le pays.

Selon un rapport publié par l’OIM, intitulé « Le soutien psychosocial aide les migrants à surmonter leurs expériences douloureuses », l’OIM a fourni un soutien mental à environ 50 000 migrants et personnes déplacées à travers le Yémen en 2022.

Selon le rapport publié en décembre 2022, le programme de soutien mental fourni par l’OIM vise à aider les bénéficiaires à faire face aux traumatismes mentaux subis en raison du conflit armé, à surmonter les sentiments d’anxiété et de dépression, et à améliorer leur santé mentale de manière générale.

L’OIM s’est concentrée sur les gouvernorats qui ont accueilli un grand nombre de personnes déplacées, comme le gouvernorat de Ma’rib, où des millions de Yéménites se sont réfugiés pour fuir le conflit dans le pays. Dans le cadre de ses efforts, l’OIM a ouvert une clinique de santé dans le camp de déplacés d’Al-Jufainah, l’un des plus grands camps de déplacés à Ma’rib, et a fourni des services de soutien mental à un certain nombre de personnes déplacées.

De même, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) poursuit ses efforts pour fournir un soutien mental aux enfants à travers le Yémen. L’UNICEF est l’une des principales organisations internationales travaillant à la protection et à la prise en charge des droits de l’enfant au Yémen.

Dans le cadre de ses efforts, l’UNICEF a organisé de nombreuses sessions de formation en 2023 et 2024, bénéficiant à des centaines d’enseignants et de spécialistes. En juin 2023, l’UNICEF a organisé une formation pour 150 enseignants, directeurs d’école et spécialistes sur la fourniture d’un soutien mental aux enfants dans les situations de conflit. En juillet 2022, elle a organisé une formation pour 82 enseignants et travailleurs sociaux sur le soutien mental aux enfants touchés par le conflit au Yémen. En août 2023, l’UNICEF a participé à la mise en œuvre d’une formation pour 120 enseignants dans le gouvernorat de Lahj sur le soutien mental aux élèves.

Outre les formations, l’UNICEF s’efforce de créer des espaces adaptés aux enfants dans tout le Yémen. Ces espaces constituent un environnement sûr où les enfants peuvent trouver le soutien et l’aide nécessaires pour surmonter les suites mentales du conflit. Selon un rapport de l’UNICEF intitulé « Un refuge sûr pour les enfants affectés par le conflit au Yémen », il y a eu 15 espaces adaptés aux enfants à Aden. Ils fournissent un soutien mental et social aux enfants handicapés et déplacés, les aidant à s’adapter à leurs nouvelles conditions et à préserver leur santé mentale.

Médecins Sans Frontières (MSF) est l’une des organisations internationales qui ont fourni de nombreux services de santé mentale aux Yéménites, dans le but de soulager leurs souffrances et de les aider à surmonter les suites mentales du conflit en cours dans le pays.

La MSF a mis en place un programme intégré de santé mentale à l’hôpital républicain du gouvernorat de Hajjah, visant à fournir un soutien mental et social aux citoyens et à offrir un traitement psychiatrique aux personnes souffrant de troubles mentaux graves.

La MSF est l’une des principales organisations internationales qui fournissent des services médicaux aux Yéménites, surtout à ceux qui sont les plus touchés par le conflit qui sévit dans la plupart des régions du pays, ainsi qu’aux personnes privées de soins de santé et souffrant de maladies répandues dans leurs communautés.

Le programme comprend un certain nombre de services, notamment des séances individuelles et de groupe avec des spécialistes de la santé mentale, des programmes de sensibilisation à la santé mentale, des activités de soutien social, des services d’orientation et d’autres services comme les soins médicaux.

L’efficacité des organisations sur la société

Amal Al-Ariqi, directrice de l’équipe d’assistance de l’organisation Rory Peck, a souligné l’importance du rôle que les organisations de la société civile peuvent jouer pour fournir un soutien mental aux Yéménites. Cependant, leur rôle reste limité, elle a fait remarquer que peu de programmes de développement et de sensibilisation accordent une importance au soutien mental en tant que l’un de leurs piliers.

Elle a expliqué que cela est dû à la croyance de certains que le soutien mental est un luxe et un confort pour les individus, ignorant son importance pour aider les gens à se remettre après avoir fait face à une ou plusieurs crises qui ont perturbé leur vie, et renforcer leur capacité à retourner à une vie normale après avoir vécu des événements négatifs. Les Yéménites continuent de souffrir de traumatismes en raison des événements et des changements politiques et économiques que connaît le Yémen.

Mme Al-Ariqi a également souligné qu’il y a un certain nombre d’organisations internationales qui s’occupent de groupes spécifiques, comme les enfants, les femmes, les personnes déplacées ou les réfugiés, et qui mettent en place un projet ou une activité pour fournir un certain soutien psychologique à ces groupes, comme l’UNICEF par exemple.

Dans une interview avec (Sawt Al-Amal), Mme Al-Ariqi a indiqué que le site web de l’OMS ne mentionne qu’une seule organisation travaillant dans le domaine du soutien mental aux journalistes au Yémen, à savoir l’Organisation de développement et d’orientation familiale.

Elle a expliqué que les journalistes yéménites font partie des groupes les plus exposés aux pressions mentales, en raison de la nature de leur travail qui consiste à couvrir l’actualité, à interroger des victimes et à être exposés à des risques, ainsi qu’à la peur d’être poursuivis. En plus des pressions économiques qu’ils subissent, le besoin des journalistes en soutien mental n’est pas moins important que tout autre soutien, comme le soutien financier et la formation, afin de leur permettre de poursuivre leur travail essentiel de transmission de la vérité et de révélation des violations des droits de l’homme.

Mme Al-Ariqi a regretté que le soutien mental et social aux journalistes au Yémen se limite pratiquement à un petit nombre d’organisations locales qui ont récemment pris conscience de l’importance de ce soutien et ont proposé quelques activités de formation et des séances de consultation pour les journalistes yéménites.

Elle a souligné qu’il y a un certain nombre de croyances erronées répandues dans la société yéménite concernant le soutien psychologique, notamment que celui-ci ne s’adresse qu’aux personnes souffrant de troubles mentaux, que demander de l’aide mental est un signe de faiblesse de la personnalité ou de manque de foi, et que le soutien mental est un luxe ou un concept occidental qui ne convient pas à la société yéménite.

Elle a également souligné que ces croyances ont également un impact sur les journalistes yéménites, car beaucoup d’entre eux ne réalisent pas l’importance du soutien mental et considèrent les traumatismes psychologiques comme une partie naturelle de leur travail. Cela a un impact négatif sur les journalistes, leurs familles et la société dans son ensemble.

Mme Al-Ariqi a également abordé les grands défis de la fourniture de soutien mental au Yémen, le plus important étant le manque d’expertise spécialisée dans ce domaine. Alors que le nombre de médecins spécialisés dans les maladies physiques est élevé, le nombre de conseillers et de thérapeutes psychologiques reste extrêmement limité.

Mme Al-Ariqi a souligné que les organisations locales et la société civile jouent un rôle essentiel dans la fourniture de soutien mental au Yémen, surtout en l’absence de soutien gouvernemental ou d’un intérêt limité des réseaux sociaux qui entourent l’individu, comme la famille, l’école et le lieu de travail. Il est également nécessaire d’intensifier les programmes de formation et de qualification des personnels spécialisés dans le domaine de la santé mentale, de sensibiliser davantage à l’importance de la santé mentale et de changer la perception négative de la société à cet égard, ainsi que de fournir un soutien financier aux organisations œuvrant dans le domaine de la santé mentale afin de leur permettre d’offrir de meilleurs services.

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