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Les défis du soutien à la santé mentale de la femme au Yémen

Yasmine Abdulhafeez – Sawt Al-Amal (La Voix de l’Espoir)

Les femmes yéménites font face depuis des décennies à d’immenses défis psychologiques, qui se sont considérablement aggravés avec le déclenchement du conflit en cours dans le pays depuis dix ans. Elles sont les plus touchées par ce conflit, étant exposées à divers types de violence – déplacement, enlèvement et meurtre – ainsi qu’à la perte des ressources de base, à la détérioration de la situation économique de nombreuses familles, à l’inflation et à la rareté des emplois. La destruction des institutions publiques et privées a également eu un impact psychologique profond sur les femmes au Yémen, selon les rapports des NU.

À ces souffrances s’ajoute le regard méprisant de la société envers les femmes souffrant de problèmes de santé mentale, d’autant plus que de nombreuses familles ne s’intéressent pas à la santé mentale de leurs filles, la considérant moins importante que leur santé physique. Cela entrave leur accès au soutien et aux soins nécessaires. De plus, le manque d’installations spécialisées dans le soutien psychologique et le manque de personnel qualifié aggravent la difficulté pour les femmes d’accéder à un traitement.

Malgré ces conditions difficiles, ces dernières années ont vu poindre un rayon d’espoir avec l’apparition de centres de santé mentale privés dans les principales villes, offrant des services de traitement et de conseil aux citoyens, y compris aux femmes. Ces centres contribuent à soulager leurs souffrances et à améliorer leur santé mentale.

La santé mentale et les femmes

Comme l’explique Manal Taha, titulaire d’un master en psychologie, « L’intérêt pour la santé mentale est souvent associé au traitement des troubles mentaux, alors que la santé mentale est un état de bien-être psychologique qui permet à l’individu de faire face aux pressions de la vie et d’atteindre ses objectifs d’apprentissage et de travail de manière satisfaisante ».

Elle souligne que la femme qui ne souffre pas de symptômes de maladie mentale peut néanmoins ne pas jouir d’une bonne santé mentale, être incapable d’atteindre ses objectifs, ne pas avoir de projets d’avenir, être incapable d’apprendre et de travailler de manière satisfaisante. Une bonne santé mentale nécessite plus que la simple absence de maladie, elle requiert également la capacité à faire face aux pressions de la vie.

Elle estime que l’attention portée à la santé mentale des femmes permet d’atteindre un équilibre émotionnel et mental, car cela contribue à la construction d’une société active et forte. Une femme jouissant d’une bonne santé mentale est en mesure de compter sur elle-même et de prendre ses propres décisions, renforçant ainsi sa confiance en soi et améliorant son sentiment de valeur personnelle.

Elle ajoute que l’excellent état de santé mentale de la femme contribue à améliorer sa capacité à prendre soin de la famille et à la soigner de manière plus adéquate. Cela lui permet également de se construire, de faire des plans d’avenir et de résoudre les problèmes. La femme joue un rôle central dans la construction de la société, en tant que mère, sœur, épouse et fille de la maison, elle en représente la moitié indispensable. Alors, la santé mentale de la femme est un élément essentiel de la santé globale de la société.

Elle a souligné que les conflits jettent une ombre sombre sur toutes les catégories de la société, sans épargner les femmes, qui comptent parmi les groupes les plus touchés par ces crises. En plus des souffrances mentales et physiques rencontrés, les femmes font face, dans un contexte de conflits, à d’énormes défis économiques et sociaux qui entravent leur capacité à vivre dans la dignité. Elles sont contraintes d’emprunter un chemin semé de dangers afin d’assurer une vie décente pour elles-mêmes et leur famille, les exposant ainsi à toutes formes d’exploitation, qu’elle soit physique, économique ou psychologique.

Elle poursuit en disant : « La détérioration de la situation économique lors des crises et des conflits porte atteinte à l’intégrité de la femme et la prive de son droit à une vie digne. De nombreuses familles ont été contraintes de prendre des décisions difficiles, comme le mariage précoce de leurs filles, afin de contribuer à la subsistance du reste de la famille ».

Elle souligne que les problèmes de santé mentale au Yémen atteignent des niveaux record, en raison de la baisse du niveau de vie et de la situation économique, ainsi que de la détérioration de la sécurité. Dans le contexte des conflits et des catastrophes naturelles, les femmes yéménites font face à de graves défis mentaux, surtout le déplacement, la violence et le déracinement, les exposant à des troubles comme l’état de stress post-traumatique ou des idées suicidaires. Elles font également face à des défis plus féroces, comme la dépression et l’anxiété, qui touchent les femmes dans une proportion plus élevée que les hommes.

Elle conclut son intervention en disant : « Il est impératif de se préoccuper de la santé mentale des femmes, car sa détérioration entraîne des troubles du sommeil, de l’insomnie, de la fatigue et des maladies infectieuses dues à un affaiblissement du système immunitaire ».

L’impact psychologique des conflits sur les femmes

Shaima Al-Ezz estime que le conflit au Yémen a eu un impact important sur les femmes, que ce soit sur les plans économique, social ou sécuritaire. Elle dit : « Sur le plan économique, elle indique que les taux de chômage et de pauvreté chez les femmes ont augmenté en raison de la dégradation de la situation économique, de la difficulté d’accès des femmes à l’emploi et aux ressources économiques, en raison de l’insécurité et des restrictions de déplacement, ainsi que de la baisse du pouvoir d’achat. Cela a affecté leur capacité à subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, les amenant à dépendre davantage de l’aide humanitaire fournie par les organisations ».

Al-Ezz estime également que la détérioration de la situation sécuritaire a accru les risques de violences sous toutes leurs formes à l’encontre des femmes, en l’absence de sécurité et en raison des difficultés d’accès des femmes aux soins, à l’éducation et autres services. Elle souligne aussi l’augmentation des taux de déplacement et de sans-abrisme chez les femmes, due à la destruction causée par le conflit, ainsi que l’exposition des femmes à la traite et à l’exploitation.

Les femmes déplacées sont les plus touchées

Mohammed Radman, coordinateur général des déplacés dans les camps de Al-Maafer, Al-Shamayatine et Jabal Habashi à Taïz, dit : « La femme déplacée fait face à une souffrance mentale importante. Elle a dû assumer de nombreuses responsabilités en raison des charges liées au déplacement et des changements de lieux, qui ne sont pas toujours adaptés à sa situation. De plus, elle ne bénéficie pas du soutien mental et humanitaire nécessaire ».

Il ajoute : « Les femmes déplacées ont dû supporter plus de 70% des souffrances et des conditions de vie difficiles. Cela est dû à la perte du soutien de la famille en raison du conflit, à la perte d’emploi et de salaire de leur conjoint. Cette situation a grandement aggravé la situation tragique dans laquelle se trouve la femme, qui n’est plus en mesure de subvenir aux besoins minimums pour elle et les membres de sa famille ».

Il a également souligné que les conditions du déplacement ont eu un impact important sur la psychologie des femmes, augmentant considérablement le nombre de celles exposées à de graves traumatismes psychologiques et à une détérioration importante de leur état de santé physique et mental. Certaines d’elles aspirent même à tout type de travail, même difficile, afin de subvenir aux besoins de leur famille, ne serait-ce que modestement.

Il continue : « Beaucoup d’elles en sont arrivées à demander le divorce et préfèrent retourner chez leurs familles afin de se décharger des responsabilités et des fardeaux qu’elles ont dû assumer avec leur mari. Certaines ont même été contraintes de mendier ».

Les femmes maltraitées en raison des coutumes et des traditions

Manal Ahmed (pseudonyme) est comme beaucoup d’autres jeunes filles issues du milieu rural qui aspirent à voyager en ville, à intégrer l’université et à choisir la filière qui leur plaît. Cependant, les coutumes et traditions selon lesquelles les études des filles ne sont pas aussi importantes que celles des garçons ont fait obstacle à la réalisation de son rêve.

Manal déclare au journal (Sawt Al-Amal) : « J’aspirais à me spécialiser en dentisterie et à ouvrir un cabinet dans mon village. Mais l’absence d’une faculté proposant cette filière à proximité de ma région, ainsi que le refus de ma famille de me laisser vivre loin d’eux, m’ont fait perdre espoir. J’en suis venue à convaincre que mes efforts seraient vains, et j’ai fini par abandonner l’idée d’étudier ».

Elle dit amèrement : « Mon rêve remonte à de nombreuses années. Je me suis mariée, j’ai eu des enfants et je me suis beaucoup consacrée à leur éducation. Pourtant, je ressens toujours un sentiment de frustration et de désespoir, car je n’ai pas pu devenir ce que je souhaitais et je n’ai pas réussi à vivre comme je l’avais planifié. Je suis prise d’un sentiment d’écœurement dès que je vois une fille qui veut étudier et qui se heurte à tous les obstacles et les difficultés sur le chemin de son objectif ».

Elle a expliqué qu’elle a longtemps ressenti le besoin de pleurer et qu’elle allait dans un endroit éloigné des autres femmes pour se parler à elle-même et se lamenter sur son sort. Elle était une jeune fille ambitieuse dans une société qui ne croit pas en l’ambition des filles et pense que leur place est le mariage, l’éducation des enfants et le confinement au foyer.

Les troubles les plus importants dont souffrent les femmes

Selon Mme. Al-Ezz : « Il y a certains troubles mentaux qui touchent les femmes plus que les hommes, dont les troubles de stress post-traumatique suite à des violences et agressions sexuelles, ainsi que la dépression et l’anxiété, en raison des pressions sociales, économiques et sécuritaires. En effet, la femme doit assumer des charges supplémentaires pour prendre soin de la famille, ce qui a un impact sur sa santé mentale ».

Elle ajoute : « Il y a des troubles liés à la grossesse et à la procréation, surtout avec l’effondrement des services de santé, une alimentation malsaine, la hausse des taux d’accouchements par césarienne et d’avortements ».

Des programmes pour promouvoir la santé mentale des femmes

À ce sujet, Ferdows Al-Rabasi, psychologue, déclare : « Il faut connaître les points faibles et les points forts des femmes, puis renforcer leurs points forts et la façon d’accepter leur propre personne. Quand la situation de vie se détériore, la femme commence à ressentir de la frustration et du désespoir, et le sentiment d’être incapable de produire et de réaliser. Elle a alors le sentiment d’être incapable de changer elle-même, sa famille et son environnement ».

Elle poursuit : « C’est alors que nous commençons à expliquer à la femme l’importance de ses droits, et à changer sa perception d’elle-même. Ensuite, nous nous concentrons sur ses points forts et travaillons à les renforcer, en l’autonomisant économiquement selon ses intérêts et orientations. Chaque femme choisit ce qui correspond à ses capacités. Cela aura un impact positif sur son psychisme et sa vie sociale. Plus elle se sent accomplie, plus elle développe un sentiment de satisfaction et de positivité pour continuer à progresser, se développer et être créative ».

Elle a souligné l’importance d’accorder à la femme des compétences qui l’aident à faire face aux pressions, et lui donnent l’idée de prendre soin d’elle-même, de trouver son propre bonheur par divers moyens et méthodes disponibles. Elle commence également à faire un équilibre dans les aspects de sa vie, comme comment coordonner ses besoins mentaux, familiaux, matériels, économiques, de santé et physiques.

Elle ajoute : « La plus grande nécessité pour la femme est de pouvoir subvenir à ses besoins essentiels. Quand elle ne peut pas y arriver, elle sombre dans un cycle d’angoisse, de désespoir et de frustration, ce qui se répercute négativement sur sa santé mentale. Cela se reflète sur ses enfants, qu’elle maltraite, les poussant à fuir vers la rue, à décrocher de l’école et à négliger leur hygiène personnelle. La mère déverse alors sa négativité sur eux ».

La femme yéménite fait face à d’énormes défis dans différents aspects de sa vie, allant des conflits psychologiques intérieurs aux difficiles conditions économiques et sécuritaires. Cependant, malgré ces défis, de nombreuses femmes affirment leur capacité à surmonter ces difficultés et à se relever. Des études montrent que lorsque la femme yéménite réussit à surmonter ses conflits intérieurs et extérieurs, elle a un impact positif sur son entourage et sa famille.

Lorsque la santé mentale de la femme s’améliore, elle devient plus capable de prendre soin de sa famille, de subvenir à ses besoins et d’équilibrer sa vie. De plus, une femme forte et indépendante contribue à la construction d’une société prospère en renforçant la coopération et la cohésion au sein de la communauté. C’est pourquoi de nombreuses institutions font d’importants efforts pour former et soutenir les femmes yéménites. Ces efforts comprennent des programmes de formation et de sensibilisation, la création d’opportunités d’emploi et un soutien financier. Grâce à ces initiatives, de nombreuses femmes ont pu créer leurs propres entreprises, offrir des emplois à d’autres femmes et connaître le succès dans divers domaines.

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