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Les conflits au Yémen : Des suites dévastateurs sur la santé mentale dans la société

Hanan Hussein – Sawt Al-Amal (La Voix de l’Espoir)

En octobre 2023, l’OMS pour la région de la Méditerranée orientale a publié un rapport mentionnant l’ampleur de la crise humanitaire au Yémen et son impact sur les individus et la société. Le rapport a décrit le Yémen comme un « Pays déchiré par les conflits », où la santé mentale est inexistante en raison de la rareté des services et des suites engendrées par les troubles mentaux les plus graves et les plus dommageables pour l’individu en particulier, et pour la société yéménite en général.

L’OMS met en garde contre les suites catastrophiques sur la santé mentale au Yémen. Selon les estimations mentionnées dans l’un de ses rapports intitulé « La crise de la santé mentale au Yémen » en 2023, 7 millions de personnes ont besoin d’un soutien mental, alors que seulement 120 000 personnes reçoivent de l’aide. L’OMS souligne également dans le rapport que la crise s’aggrave avec la poursuite du conflit et la diminution des possibilités d’accès aux services spécialisés, surtout dans les régions éloignées.

Selon le rapport du ministère de la Santé et de la Population pour 2022-2023, une étude réalisée en 2019 a pour la première fois diagnostiqué le taux de prévalence des maladies chroniques par tranche de 10 000 habitants, classées par ordre d’importance. Cette étude a montré que les maladies mentales occupent la troisième place, avec un taux de 37 cas pour 10 000 personnes.

Selon le rapport, les taux de prévalence des principaux troubles mentaux au Yémen sont les suivants : Le trouble dépressif affecte 27% de la population, le trouble anxieux 25%, la schizophrénie 18%, le trouble de stress post-traumatique 45% et la phobie sociale 4%.

De la réalité

Manar Mohammed, chercheuse et psychologue, parle des histoires les plus marquantes qu’elle a rencontrées dans son travail. Elle dit : « L’une des histoires les plus importantes que j’ai personnellement rencontrées est celle d’un jeune homme dans la vingtaine, dont le père a été exécuté pour avoir tué son épouse. Par la suite, ce jeune homme a été confronté à plusieurs traumatismes, notamment la destruction de leur maison pendant le conflit, ce qui l’a ensuite plongé dans la pauvreté et le chômage. Ces traumatismes successifs ont conduit à son isolement et à son choix de vivre parmi les tombes, devenant fossoyeur et enterrant les morts ».

Elle ajoute : « Il trouvait du réconfort et du plaisir à étreindre les corps lors de leur enterrement. Cependant, l’un de ses collègues fossoyeurs l’a surpris en train d’essayer d’exhumer une tombe. Ce collègue l’a alors menacé de le dénoncer et de le traduire en justice, ou de le forcer à abandonner ce métier ».

Elle poursuit son récit : « Le jeune homme a choisi, selon son point de vue, la voie la plus facile et la plus appropriée, à savoir le suicide. Cependant, à chaque tentative de suicide, il a survécu. Un jour, il a finalement été orienté par l’équipe médicale de l’hôpital vers les spécialistes de la santé mentale, et nous l’avons alors diagnostiqué ».

Elle continue : « Nous avons fait de notre mieux pour le traiter après qu’il nous eut raconté les détails de ce qu’il a vécu et de ce qu’il ressent, surtout lorsqu’il étreint les corps. Il a dit que chaque fois qu’il enlace un corps, il se rappelle sa mère, et qu’il a choisi de côtoyer les morts car il était incapable de faire confiance aux êtres humains vivants, après que son père a tué sa mère. C’est pourquoi il préfère la compagnie des morts plutôt que celle des vivants, et n’a pas peur de la mort et des morts, car il pense que tous les défunts ne voulaient pas mourir, mais que ce sont les êtres humains vivants qui les ont tués ».

Elle explique que la raison pour laquelle il a choisi le suicide est que sa personnalité encore en vie est celle qui le force à se tuer. C’est la personnalité qui représente son côté mauvais, et qui veut tuer sa personnalité qui incarne le bien en lui. La mort le relierait aux bonnes personnes, alors que tous les vivants sont mauvais selon lui.

Une grande importance

Mme. Manar dit : « En tant que chercheuse dans le domaine de la psychologie approfondie, je peux affirmer avec certitude que la santé mentale a une très grande importance dans la vie de l’individu et de la société. Elle aide tous les individus à vivre dans un environnement paisible et exempt de troubles mentaux graves et multiples, qui entraînent à leur tour le retard de l’individu lui-même, puis de la société, en termes de science, de connaissances, d’économie et ainsi de suite ».

Elle ajoute : « Le développement d’un pays ne peut se faire que par le biais d’une bonne santé mentale répandue parmi ses citoyens. La plupart des pays développés et indépendants, qui rivalisent avec les autres pays, sont ceux qui ont mis l’accent sur l’aspect mental de leurs citoyens ».

Elle poursuit : « Le traitement de la santé mentale au Yémen est une nécessité absolue pour atténuer les souffrances dont se plaignent la plupart des Yéménites. Cela joue un rôle dans la motivation des Yéménites à créer des institutions qui organisent le développement et le progrès de l’État, ainsi que leur réorganisation et leur reconstruction vers la réalisation de la stabilité politique et économique générale du pays, ce qui contribue à réduire le chômage en fournissant des emplois aux jeunes. Ce traitement est ciblé et efficace pour mettre fin à la confusion du citoyen yéménite et occuper le vide dans lequel il vit aujourd’hui, à partir duquel sont nés de multiples troubles mentaux ».

Les troubles les plus marquants

Akram Abdelaziz, directeur d’une des institutions de santé mentale, estime que les troubles mentaux les plus répandus au Yémen sont : Le trouble de stress post-traumatique, la dépression ; en raison des conditions de vie difficiles et de la perte d’espoir, et l’anxiété due à la crainte de l’avenir, ainsi que les troubles du sommeil en raison de l’anxiété et du stress constant, en plus des troubles mentaux des enfants suite à la perte de sécurité et d’éducation appropriée.

Mme. Manar est d’accord avec lui, elle estime que les troubles les plus importants et les plus graves sont la dépression, suivie de l’anxiété, du trouble de stress post-traumatique, ainsi que du trouble du comportement perturbateur et antisocial. Sans oublier la manie, la névrose obsessionnelle compulsive, le narcissisme et la schizophrénie, entre autres.

En ce qui concerne le classement selon les groupes d’âge, Mme. Manar explique que les troubles dont souffre le citoyen yéménite sont très nombreux et sont apparus progressivement jusqu’à atteindre cette ampleur chez les jeunes, qui représentent la tranche d’âge la plus importante et la plus touchée. Viennent ensuite les enfants, puis les personnes âgées.

Elle ajoute : « La dépression à ses trois degrés (légère, modérée et sévère) est la plus importante parmi les autres troubles, car elle est devenue une menace aussi grave que la balle, voire elle conduit au retard de développement du pays et à l’aggravation de sa crise en l’empêchant de trouver une solution rationnelle pour redresser cette société ».

Elle continue en disant : « À travers ma pratique dans le domaine de la santé mentale, nous, en tant que spécialistes, ne pouvons plus appliquer la mesure la plus importante de la dépression dans la société yéménite, à savoir l’échelle de Beck composée de 21 questions. Car cette mesure n’est plus adaptée, voire inadéquate pour évaluer le trouble, étant donné ce que vit le peuple yéménite, déchiré par les conflits, épuisé par la pauvreté, la faim, le chômage, le vide, l’ignorance et le retard, entre autres ».

Soulignant que l’anxiété est un autre type de trouble dont souffre la majorité des citoyens yéménites pendant l’apogée du conflit, en raison de la violation de leur sécurité et de leur sûreté à laquelle ils ont été exposés.

De plus, Ora Ramirez Barrios, directrice de la santé mentale de l’OMS, a confirmé à l’Agence France-Presse que 70% à 80% des patients dans les cliniques yéménites souffrent de psychose, de dépression, de troubles bipolaires et de troubles post-traumatiques.

Le taux de troubles par rapport au passé

En ce qui concerne les taux de maladies mentales entre le passé et le présent, Mme. Manar affirme que le pourcentage d’apparition des troubles mentaux a augmenté par rapport au passé, et à leur tour, ils génèrent des comportements et des idées étrangères à notre société yéménite, comme les viols, les meurtres, les vols et d’autres actes anarchiques hostiles à la société.

Elle poursuit : « La personne atteinte de troubles mentaux et agressive est une victime tout comme la personne agressée. En effet, elle n’est pas consciente de ses actes, surtout si elle souffre de troubles mentaux anciennement classés sous la rubrique des troubles mentaux, qui nécessitent une intervention thérapeutique rapide par le biais de médicaments et de séances en premier lieu, puis d’un suivi et d’une hospitalisation thérapeutique en second lieu. Le trouble le plus important et le plus répandu est la schizophrénie ».

M. Akram Abdelaziz est d’accord avec elle, estimant que le taux d’apparition des troubles mentaux a augmenté à l’heure actuelle par rapport au passé en raison de la situation du conflit.

Les causes des troubles

En ce qui concerne les causes qui ont créé des crises psychologiques, Munira Mahdi, psychologue, déclare : « Les conflits, les catastrophes et les conditions économiques ont tous eu un impact important et négatif sur tous les membres de la société, et ont été la cause principale des crises mentaux. En raison de mon travail dans ce domaine dans plusieurs hôpitaux psychiatriques, je constate une détérioration importante de la santé mentale au sein de la population ».

De son côté, Saadia Abdallah Al-Awlaqi, thérapeute psychologique, dit : « Il y a des raisons pour la propagation des maladies mentales au Yémen qui sont encore méconnues, en raison du manque de sensibilisation et des préjugés dont les gens ont peur. Cependant, nous ne pouvons nier qu’au cours de la dernière période, le regard des gens a changé sur cet aspect, et les gens cherchent de plus en plus à se faire soigner par rapport au passé. En raison de la situation actuelle au Yémen, de nombreux troubles mentaux sont apparus de manière notable, attribuables aux causes politiques et économiques instables, qui ont joué un grand rôle dans l’apparition de ces troubles ».

Des rôles et des responsabilités

« Notre rôle en tant que spécialistes, psychiatres et militants des droits de l’homme est d’encourager et d’exhorter les autorités compétentes à proposer des solutions en activant les études et les recherches que nous menons, pour atténuer la gravité des troubles mentaux qui ont paralysé le mouvement de la société yéménite et l’ont frappée d’impuissance dans laquelle elle se trouve aujourd’hui. La responsabilité doit être partagée entre l’État et les membres de la société ». Selon les déclarations de Mme. Manar.

Elle ajoute : « D’après moi, aucune personne jouissant d’une bonne santé mentale n’entraverait les plans visant à résoudre cette crise de la société yéménite, et à vivre dans un environnement exempt de tension et de conflit, qui permettrait au citoyen yéménite de jouir d’une vie paisible, sereine et heureuse. En effet, une personne jouissant d’une bonne santé mentale est épanouie, en harmonie et en paix avec son entourage, aimant sa communauté ».

Des traitements nécessaires

D’après Saadia Al-Awlaqi, les principales solutions sont : « Sensibiliser le citoyen, utiliser de manière optimale les différents réseaux sociaux, ainsi que les médias, pour accroître la prise de conscience sur l’importance du traitement mental des troubles dès leurs premiers stades, afin d’en empêcher l’aggravation ».

Elle déclare : « Parmi les solutions, il faut mettre en place des programmes et accueillir des spécialistes dans ce domaine, aborder les causes à l’origine de ces troubles et les moyens susceptibles d’aider, notamment en consultant des spécialistes dans les plus brefs délais, en plus de publier les noms des centres et hôpitaux spécialisés ».

Elle voit qu’il y a un ensemble de propositions pour éviter la propagation et la diffusion des troubles mentaux, qui comprennent la conception de programmes de sensibilisation et d’orientation abordant l’importance de la santé mentale pour l’individu et la société, ainsi que son rôle efficace dans la stimulation de l’augmentation de la productivité de l’individu et de la société dans tous les domaines scientifiques et pratiques. Cela contribue également à réduire les déviations en dehors de la loi et de l’ordre public.

Elle dit : « Il est nécessaire de créer un système de santé mentale et d’améliorer les infrastructures en traitant les institutions publiques s’intéressant à la santé mentale et les hôpitaux privés, en plus d’activer de nombreux acteurs de la société civile (tels que les organisations internationales gouvernementales et privées) qui se spécialisent dans la fourniture de services de soutien psychosocial ».

Elle souligne que l’un des traitements les plus importants est de mettre fin aux conflits et de parvenir à une solution satisfaisante pour tous les membres de la société et ses différents groupes. En effet, la cessation des conflits et des différends est l’un des principaux traitements pour limiter la propagation des troubles mentaux qui ont connu une augmentation récente.

M. Abdelaziz pense qu’il y a un ensemble de traitements pour atténuer les troubles mentaux chez le citoyen yéménite, et qu’un ensemble de mesures et de politiques intégrées visant les individus et la société dans son ensemble peuvent être mises en œuvre, dont : renforcer l’accès aux services de santé mentale en créant et en répartissant des centres de santé mentale dans différentes régions pour les rendre accessibles à tous les citoyens, ainsi que former les médecins et les infirmières à la reconnaissance des troubles mentaux et à la fourniture d’un soutien initial.

Il continue : « Le soutien social et la mise en place de programmes de soutien communautaire offrant un soutien émotionnel et des conseils aux individus, ainsi que la création de groupes de soutien pour les personnes souffrant de troubles mentaux afin d’échanger leurs expériences et de se soutenir mutuellement. Également, l’amélioration des conditions de vie et la mise en œuvre de programmes économiques pour améliorer les conditions de vie et fournir des emplois, ainsi que la mise en place d’activités sportives diverses ».

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