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Promouvoir la santé mentale au Yémen : entre législations et défis actuels

Ahmed Bajoaim – Sawt Al-Amal (La Voix de l’Espoir)

La santé mentale est essentielle dans la vie des individus et des communautés, car elle influence profondément la qualité de vie, la productivité et le comportement général. Dans notre pays, la santé mentale fait face à de graves défis en raison de la situation sociale, politique et économique instable que nous vivons depuis près d’une décennie. Les conflits armés ont entraîné la détérioration économique et l’insécurité, affectant profondément les citoyens.

L’accumulation de stress sur les individus a entraîné une augmentation significative des troubles mentaux, aggravant ainsi l’inefficacité de la législation yéménite en matière de santé mentale pour les personnes souffrant de ces troubles. Plusieurs raisons contribuent à cela, notamment l’absence de textes juridiques clairs régissant la fourniture de services de santé mentale.

L’importance des lois et des législations ne se limite pas à établir des cadres réglementaires, mais s’étend également à garantir la fourniture de services de soins psychiatriques de manière juste et efficace. Un système juridique solide joue un rôle central dans la promotion de la santé mentale en assurant l’accès à des services spécialisés pour tous, sans discrimination, et en protégeant les droits des personnes atteintes de troubles mentaux.

Ce rapport vise à explorer le rôle de la législation yéménite, du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme dans le renforcement de la santé mentale au Yémen.

Les cadres juridiques au Yémen

L’avocat et le chercheur en droit international humanitaire Majid Ben Ja’ah déclare : « Les lois yéménites relatives à la santé mentale mettent l’accent sur la protection des droits des patients psychiatriques, garantissant leur accès aux traitements et aux soins nécessaires. Le législateur yéménite a mis en place des lois et des politiques visant à assurer la fourniture de services de santé mentale, la prévention des maladies mentales, la protection contre la discrimination, la protection légale et la promotion des campagnes de sensibilisation sur l’importance de la santé mentale individuelle et de la nécessité de soins psychiatriques ».

Il a précisé que les lois internationales constituent un cadre solide pour promouvoir la santé mentale à travers le monde, y compris au Yémen, en protégeant les droits des individus et en garantissant l’accès aux soins psychiatriques appropriés. Cela se fait à travers divers cadres juridiques internationaux, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui affirme le droit de tous les individus à jouir du plus haut niveau possible de santé physique et mentale.

La Convention relative aux droits des personnes handicapées se concentre sur les droits des personnes souffrant de handicaps mentaux et intellectuels, obligeant les États à garantir les soins de santé et psychiatriques appropriés. De même, la Déclaration des droits des patients psychiatriques de l’Organisation mondiale de la santé établit des lignes directrices pour protéger les droits des patients en santé mentale.

Il a ajouté que parmi les cadres juridiques liés au Pacte international, on trouve l’article 12 qui stipule : « Les États Parties au Pacte actuel reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mental qu’elle soit capable d’atteindre ». Dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CRPD), il est affirmé que « Les États Parties reconnaissent que les personnes handicapées ont le droit de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination fondée sur le handicap. ». De même, la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), à l’article 25, stipule que : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux […] ».  

Majid Ben Ja’ah a poursuivi en disant que le droit international humanitaire clarifie dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles la protection des civils, y compris des patients psychiatriques, lors des conflits armés. Ces protocoles soulignent la nécessité de fournir les soins de santé nécessaires à toutes les personnes affectées par les conflits, y compris les soins psychiatriques.

Les stratégies nationales

Nada Baqadi, responsable de la santé mentale au bureau du ministère de la Santé Publique et de la Population dans le gouvernorat de Al-Hodeïda, a souligné au journal (Sawt Al-Amal) que les autorités nationales et internationales cherchent à élaborer des stratégies efficaces pour promouvoir la santé mentale au Yémen. Parmi les plus importantes figure la stratégie de l’Organisation mondiale de la santé visant à atténuer l’aggravation des troubles mentaux dus à la poursuite du conflit armé, et à sensibiliser sur l’importance de la santé mentale.

Elle a également indiqué que le ministère de la Santé Publique a élaboré en 2022 une stratégie nationale pour la santé mentale pour la période de 2022 à 2026, avec le soutien de l’Organisation mondiale de la santé. Cette stratégie nationale s’inscrit dans la continuité de la stratégie de l’OMS et comprend plusieurs objectifs et programmes visant à renforcer l’intégration des services de santé mentale avec d’autres systèmes de soins de santé.

L’Organisation a explicité que sa stratégie vise à faciliter l’accès aux services de santé mentale pour toutes les strates de la société. Elle s’est engagée à établir et réhabiliter environ 47 unités de santé dédiées à la santé mentale dans tous les gouvernorats du Yémen, afin d’assurer la fourniture sécurisée des services à la communauté et de renforcer l’amélioration des centres concernés par les troubles mentaux à travers le pays.

Malgré les efforts déployés pour promouvoir la santé mentale au Yémen, plusieurs défis entravent l’accès de tous les Yéménites aux services psychologiques dont ils ont besoin. En effet, Baqadi a souligné que le programme de soutien psychosocial n’a pas bénéficié de l’attention nécessaire de la part des autorités concernées, de manière primordiale.

Elle indiqué que malgré cela, il existe des efforts visant à fournir des services psychologiques aux citoyens, en activant le service de soutien psychosocial dans certaines installations de santé, en collaboration avec le bureau de Santé à Al-Hodeïda, ainsi que des partenaires de développement et des organisations internationales. Cependant, seules les personnes souffrant de troubles mentaux et psychologiques bénéficient de services spécialisés, en raison de la situation économique précaire du pays, de la persistance des conflits, de l’augmentation des déplacements forcés et de la perte de moyens de subsistance ou de proches.

Les règles et les procédures

La protection des droits des patients atteints de troubles mentaux est une responsabilité partagée, car ces droits visent à garantir que ces patients reçoivent les soins de santé nécessaires. L’avocat Ben Ja’ah souligne que parmi les procédures les plus importantes pour protéger les droits des patients atteints de troubles mentaux et les obligations des centres de santé, il y a le respect de la dignité et de la vie privée : tous les professionnels de la santé mentale doivent traiter les patients avec respect et considération, sans discrimination fondée sur l’âge, le sexe, la religion, la race ou toute autre caractéristique. De plus, il est impératif de préserver la confidentialité des patients et de ne pas partager leurs informations personnelles avec quiconque sans leur consentement.

Il a également souligné l’importance de fournir des soins de santé mentale sans discrimination, ainsi que l’obtention du consentement éclairé des patients, qui doit être volontaire et réfléchi. Il est essentiel de fournir des services psychologiques accessibles et complets répondant aux besoins de tous les patients, et de surveiller et évaluer ces services pour garantir leur qualité et leur efficacité.

De son coté, Nada Baqadi a mentionné plusieurs règles et procédures concernant la protection des droits des patients psychiatriques, en mettant en avant la nécessité de construire une relation de confiance entre le thérapeute et le patient psychiatrique ainsi que toutes les parties impliquées. Elle souligne également l’importance de fournir les soins de santé nécessaires aux patients psychiatriques selon les normes applicables dans ce domaine. De plus, elle appelle les parties concernées à réduire les effets négatifs des troubles mentaux sur la vie des individus, des familles et de la société, et à promouvoir l’intégration sociale des patients psychiatriques.

Elle a ajouté que parmi les règles et les procédures figurent le respect et la promotion de l’indépendance et de l’autosuffisance des personnes souffrant de troubles mentaux, ainsi que de leurs fournisseurs de soins, à travers l’ouverture et la transparence dans la fourniture d’informations, ainsi que le respect dans la manière de traiter les patients et leurs proches.

Propositions pour améliorer la situation sanitaire

Pour améliorer la situation sanitaire des personnes souffrant de problèmes psychologiques, Baqadi propose de créer un environnement sûr et confidentiel permettant aux bénéficiaires de partager leurs sentiments et pensées sans craindre le jugement ou la discrimination. Elle recommande également de fournir une équipe qualifiée de spécialistes en psychologie, formés pour offrir des services de conseil et de soutien psychologique, afin d’attirer et aider ces personnes à gérer les pressions psychologiques, qu’elles soient dues à la situation économique, sociale ou autres.

Elle a poursuivi : « Parmi les mesures les plus importantes figurent également l’implication de la communauté dans la promotion du bien-être psychologique positif et la lutte contre la stigmatisation souvent associée aux maladies mentales et psychologiques, en organisant des ateliers et des séminaires pour les influenceurs communautaires au sein des conseils locaux, des dotations (Awqaf) ou des chefs de quartier ».

Elle a précisé que cela nécessite la mise à disposition d’un budget opérationnel pour la supervision, l’évaluation et le suivi, car le programme de soutien psychologique n’a pas reçu l’attention de la part du ministère comparativement à d’autres programmes. Elle recommande également la création d’un système de référence efficace pour relier les personnes souffrant de problèmes psychologiques à des spécialistes qualifiés et expérimentés. Ce système devrait inclure des références à des spécialistes en santé mentale, ainsi que la fourniture d’autres services tels que l’alimentation, l’hébergement, les soins de santé physique, et l’activation des lignes d’assistance pour les personnes déplacées et les migrants ayant besoin de services de santé mentale. Il est aussi suggéré de créer des espaces adaptés aux enfants pour soutenir leur santé mentale à travers des jeux sécurisés.

Le Yémen vit une crise humanitaire profonde qui affecte divers aspects de la vie, et la santé mentale est l’un des domaines les plus touchés par cette crise. Ainsi, promouvoir la santé mentale au Yémen nécessite une synergie des efforts entre les différents acteurs. Les efforts requis incluent le renforcement des législations nationales et internationales pour protéger les droits des patients psychiatriques et garantir leur accès aux soins nécessaires, ainsi que la mise en œuvre de stratégies nationales et internationales efficaces pour promouvoir la santé mentale au Yémen. Le soutien juridique, social et psychologique aux personnes souffrant de troubles mentaux constitue également une étape essentielle pour améliorer la santé mentale des individus et de la société dans son ensemble.

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